Et nous, ne sommes-nous pas tous "décalés" à certains moments de notre vie ? N’est-ce pas là que le clown nous touche et nous fait rire ? Là, juste à cet endroit sensible qui nous chatouille, nous irrite et nous ravit tout à la fois... C’est le personnage qui réveille et allège ce sentiment de ridicule, de pathétique, de tragique qui nous a traversé un instant, au cours de notre vie sociale, là où justement nous cherchons à tendre vers une impossible perfection... ?
C’est le petit enfant qui, après avoir renversé un verre, se met en devoir de réparer sa bêtise en étalant allègrement le jus de fruit sur le parquet avec une belle éponge bien propre, qui sert à faire la vaisselle… C’est l’adulte qui apporte un café à son supérieur hiérarchique ou son amour de toujours et se prend les pieds dans le tapis pour atterrir sur le giron de la dite personne, le café largement répandu sur son vêtement… et qui cherche désespérément à l’essuyer…
Le clown se saisit lui de ce moment de désespoir pour nous montrer à quel point nous nous enfonçons dans le ridicule en voulant peut-être effacer l’irréparable, vexés, déçus, trahis que nous sommes par ces objets qui se jouent de nous. C’est justement à ce moment précis que le clown se révèle dans toute sa grandeur : dans un aveu complet de cette maladresse, ce désespoir. Nous voudrions disparaître dans un trou de souris : le clown, lui, va mettre ce projet à exécution, et nous ravir de bonheur. Nous rions de lui tout en riant secrètement de nous (heureusement, personne ne le voit !)...
Par son imperfection, son humanité et son humilité réunies, le clown nous réconcilie avec nous-même et nous aide à nous voir et nous accepter tel que nous sommes. Le tragique des situations qu’il vit nous rappelle tellement le nôtre que nous lui sommes reconnaissants de sa générosité. Et par nos rires ou à travers eux, nous cherchons à le remercier du fameux cadeau qu’il nous a offert...
Le clown, semble-t-il, transcende l’échec et le transforme en exploit : celui de dire ses limites, son incapacité, ses maladresses, sa honte, son désarroi, son désespoir même… Il avoue tellement bien ce que nous cherchons tellement à dissimuler (aux yeux des autres ou de nous-même ?). Sa philosophie, née d’une immense naïveté et d’un optimisme à toute épreuve, le conduit, à son insu, à nous attendrir, nous émouvoir, nous faire rire tellement il ose, lui… Là où l’humain déprime, le clown s’acharne avec une telle force incongrue, qu’il nous fait dévier de notre trajectoire, en nous apportant le rire : un rire franc, sans ironie ni sarcasme, qui nous va droit au cœur. Parce qu’il se raconte, avec cette authenticité qui n’appartient qu’à lui, il nous ramène à la vie, celle qui vaut la peine d’être vécue…