Sans doute, le personnage du clown symbolise-t-il lui-même l’état de crise avec sa double face : confronté fondamentalement à la chute, au ratage, à la rupture, au péril, bref au tragique, et en même temps, prompt au rebond, à la réaction, à la transgression et à l’inventivité, il ne se laisse pas abattre ! Ceci renvoie directement à l’origine grecque de ce mot - "krisis" - qui signifie "décision". Justement, dans les situations de crise, le clown agit, se mobilise, sait dépasser les tabous et se dépasser lui-même, comme Charlot se mettant à table pour manger sa chaussure... Pour le clown , la crise est donc à la fois inévitable et stimulante !
Dans la première partie du dossier, nous avons voulu aller voir du côté de certains "cousins" des clowns, cousins qui font eux aussi partie de la grande famille des " amuseurs à résonance profonde " **.
Occasion de situer les clowns par rapport à d’autres personnages, du passé et du présent, intéressants pour le traitement métaphorique qu’ils font des crises : les "tramps", les "burlesques", ceux de la commedia dell’arte ou de la " culture jamming " *** (comme les Yes men ).
Dans la seconde partie du dossier, nous retrouvons la diversité des pratiques du clown contemporain : spectacle, intervention, "artivisme"... avec des témoignages vivifiants où l’on découvre comment les clowns en jeu, et les acteurs sous le masque, surgissent et se positionnent dans un monde en crise.
Et le débat initié dans le N°15 se poursuit autour de la même question : comment garder un positionnement "artistique" sur ces terrains conflictuels ?
La terre est fragilisée, le monde est malade ou fou.. et, en allant à la rencontre des humains, les clowns piquent eux-mêmes une crise ! Car, comme le Petit Larousse l’indique, le mot crise signifie aussi " accès soudain d’ardeur et d’enthousiasme ", ce qui caractérise bien "l’état clown" ! En mettant leur nez dans les affaires du monde**** , les clowns nous font rire, nous touchent, nous surprennent, nous font du bien, nous dérangent... Ce faisant, ils tiennent là deux de leurs fonctions historiques : celle de la dénonciation comique et celle de l’imagination poétique. Empêcheurs de tourner en rond, ils clignotent, comme des signaux d’alarme ou comme des étoiles, pour exorciser nos peurs, nous inciter à agir et rêver d’un autre monde.
* C’est le titre d’un excellent livre d’Alfred Simon (La Manufacture, 1988).
** Comme le dit Serge Martin (Le "fou" "roi" des Théâtres, L’Entre-temps).
*** On peut traduire " culture jamming " par "détournement culturel" (cf. wikipedia.org)
**** Comme le dit le Très Grand Conseil Mondial des Clowns (voir l’article des Matapeste p.20, et les photos d’Alexandre Giraud en couverture de ce N° et du Bouillon)