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Les Clownanalystes du Bataclown

Miroirs révélateurs de la vie sociale
De Jean-Bernard Bonange et Bertil Sylvander
Préface de Boris Cyrulnik

HD 2015
Collection Précursions (dirigée par Jean-Pierre Klein)
200 pages - Prix public : 21€

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Cet ouvrage, pour la première fois, met en lumière la « clownanalyse ». Initiée par les auteurs, cette pratique artistique mobilise et combine de façon originale deux champs jusque-là disjoints : l’improvisation théâtrale en jeu de clown et l’intervention sociale à la demande d’une organisation, d’une entreprise ou d’une institution. Cette innovation replacée dans le contexte culturel et sociopolitique a ouvert avec le clown d’intervention sociale de nouveaux espaces de jeu dans les organisations et dans la vie sociale.
Son sens sociopolitique et artistique est décrypté et son évolution depuis une trentaine d’années. Les clownanalystes du Bataclown s’investissent sur le terrain social, comme semeurs de rires et comme ferments des valeurs de solidarité et d’émancipation. À leur suite, les clowns d’intervention sociale traversent les lieux et les événements publics avec empathie et humour plutôt qu’avec agression et ironie, pour rejoindre sans contraindre, révéler sans abuser…
Une tragique actualité a mis en valeur l’importance sociale et la fragilité des caricaturistes et dessinateurs de presse… Avec eux, la clownanalyse traite de l’actualité sociale et politique et des enjeux du monde par le jeu métaphorique, l’effronterie et la dérision, dans une prise de distance avec les problèmes ainsi dédramatisés. Entre jeux de miroir et changements de regard, ils témoignent d’une inventivité sociale sur le registre d’un jeu parodique, critique et régénérateur d’une réelle modernité, retrouvant une fonction politique/poétique dont nous avons bien besoin pour humaniser la vie sociale et explorer son potentiel d’imaginaire. Empêcheurs de tourner en rond, pertinents et impertinents, ces miroirs révélateurs incitent à imaginer et à agir, ferments d’espoir et de transformation.

De Jean-Bernard Bonange et Bertil Sylvander

I – Présentation de la clownanalyse
1 – La clownanalyse : nouvelle pratique pour nouveaux clowns
2 – La demande de clownanalyse : nouvelles scènes et nouveaux publics
II – Retour sur la genèse de la clownanalyse
4 – "Premières" et professionnalisation
5 – Sources et ressources des précurseurs
6 – La genèse sociale du Clown contemporain
III – La clownanalyse et le changement social
7 – Effets de la clownanalyse sur les acteurs et leurs organisations
8 – Les Clownanalystes sur les points chauds du social
9 – De la clownanalyse à l’intervention sociale des clowns : critique, éthique et formation
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes

Préface de Boris Cyrulnik

Vous souvenez vous de Dario Moreno ?
Il était courtaud, avec un ventre rond, des joues rondes et, sous le nez, une petite moustache. Un soir, il chantait gaiement « Un brésilien à Paris », avec des gestes, des danses et une jolie voix de baryton quand, soudain un spectateur s’est levé, indigné, et a quitté la salle en criant : « Bouffon ! Bouffon ! »
Il en est ainsi dans la vie de tous les jours. Certains ont besoin de clowns pour les enchanter avec leurs traits comiques, alors qu’ils disent des choses graves avec leur nez rouge et leurs grosses godasses. D’autres ne supportent pas cette mise en scène ce qui prouve qu’il n’est pas nécessaire de faire rire les paranoïaques qui prennent tout au sérieux.
Le rire, quand on est agressé, prend un effet de résistance. C’est un comportement qui veut dire : « Vous cherchez à m’écraser avec vos discours pontifiants et vos abstractions engourdissantes. » C’est alors que surgit un clown qui reprend ce qui vient d’être dit et, comme dans un miroir, avec une rhétorique caricaturale, reflète vos excès.
Voilà pourquoi les Bataclowns sont dangereux : un jour, ils ont failli me faire mourir… de rire, en déformant dans leur miroir, les métaphores savantes que je venais d’employer. J’avais dit qu’un nouveau-né ne pouvait se développer que dans un bain de paroles. J’étais assez content de cette image quand j’ai soudain entendu un bonhomme en peignoir avec une grosse serviette autour du cou, dégringoler les escaliers de l’amphithéâtre en criant : « Attendez-moi, moi aussi, je vais prendre mon bain de paroles. ».
Pourquoi avons-nous tellement ri ? Parce qu’il venait gaiement de dégonfler ma boursouflure verbale. « Reste avec nous, tu n’es qu’un homme » avait-il suggéré avec sa mise en scène. C’est pourquoi les dictateurs qui se sentent toujours au-dessus des autres, ne rigolent pas quand on les dégonfle. En voulant tout dominer, ils éprouvent le moindre trait d’humour comme une tentative de coup d’État. Ils ont raison de se méfier car, en supportant l’humour, ils rejoindraient le bataillon des opprimés. Ce qui veut dire aussi que, dans l’âme d’un clown, il y a un espace de liberté qu’aucun dictateur ne peut s’approprier.
En mimant et en parlant avec une prosodie de clown, cet homme qui voulait se baigner dans mes mots, me ramenait sur terre. Il nous faisait rire en désymbolisant un peu, comme si le mot était devenu la chose.
S’agit-il d’un jeu de fiction, comme le font nos enfants quand ils jouent au soldat, ou à Papa-Maman ? Leur fiction n’est pas coupée de la réalité, au contraire même, elle s’y enracine. Leur jeu de fiction se nourrit de la réalité qui les entoure et met en scène une représentation de ce qui les attend. Quand les enfants font les clowns, ils rejouent une tragédie. Mais en la remaniant, ils la maîtrisent, ils la rendent supportable. Faire le clown c’est alléger l’accablement en rejouant la représentation de ce qui vient de nous arriver.
Ce procédé de distanciation permet de dire l’indicible, en métamorphosant l’agressivité ou le désespoir. Groucho Marx, à l’époque où l’Amérique était antisémite, descend de son bel hôtel et se dirige vers la piscine où il voit sur une pancarte : « Piscine interdite aux Juifs. » Comme il est très riche, il demande à voir le directeur qui s’empresse.

  • « J’ai un problème, monsieur le Directeur »
  • « Puis-je vous aider, Monsieur Marx ? »
  • « Ma mère est chrétienne, mais mon père est juif. Pouvez-vous me dire quelle moitié de mon corps je peux mettre dans votre piscine ? »
    L’absurdité de la question faisait rire du ridicule de la pancarte et pourtant, elle avait soulevé un grave problème social. Quand le clown a fait rire de ma métaphore de salle de bain, c’est sa mise en scène de désymbolisation qui m’a amusé, alors qu’il aurait pu me blesser m’accusant de boursouflure sémantique.
    Le clown, en me déroutant, m’a ramené dans la communauté des hommes, il m’a empêché de me considérer comme un parleur emphatique. En provoquant un petit chaos, il m’a permis de ne pas me prendre au sérieux et j’ai ri de bon cœur, puisque je ne suis pas candidat-dictateur.
    Le simple fait de rire ensemble a un effet de lien. Quand on partage un plaisir physique, quand on ouvre la bouche, quand on crie ou qu’on pleure, auprès de quelqu’un, en mangeant, en buvant ou en se secouant les côtes, on éprouve un équivalent de plaisir érotique. C’est pourquoi on se sent intime, quand on rit ensemble.
    C’est peut-être ce qui explique la fonction socialisante de l’Art. Pourquoi va-t-on au théâtre, à l’opéra ou à un concert où l’on s’assoit auprès d’inconnus avec qui on s’apprête à partager des éclats de rire ou des pleurs d’émotion ? Parce que si l’on regardait tout seul, la même pièce de théâtre, on s’ennuierait probablement. La simple présence d’un autre augmente notre plaisir de rire.
    Jusqu’où le clown peut-il aller trop loin ? Charlot dans « Le Kid » soulève un problème social désespérant, celui des enfants affamés par la pauvreté. Mais dès que Charlot nous fait sourire avec ce drame, on se sent proche de cet enfant. Et quand Charlot met en scène « Le Dictateur », il transforme l’angoisse du danger qui monte, en caricaturant les travers de la dictature que nos voisins déjà prenaient au sérieux.
    On a besoin des clowns qui sont nos professeurs de distance. En nous invitant au recul mental, ils nous aident à voir ce qu’on ne saurait voir si l’on restait collé à l’événement.
    C’est pourquoi je vous propose un proverbe chinois qui définit la fonction des clowns : « Le nez de l’autre est facile à voir, alors que tu ne peux pas voir ton nez parce qu’il est trop près de tes yeux. »

Boris CYRULNIK
Neuro-psychiatre, Université Toulon-Var


1 La scène a eu lieu lors d’une intervention des Clownanalystes du Bataclown au Colloque Petite enfance de Genève avec le duo Pissenlit et Lili. Dans sa conférence, Boris Cyrulnik avait évoqué à la fois le cas du chien d’un couple séparé et l’importance des premiers mots prononcés à la naissance d’un enfant. Après l’entrée de Pissenlit évoquée ici, Lili enceinte avait accouché… d’un chien en peluche que les clowns ont fini par prénommer Boris. Ces condensations d’images, moteur de l’humour des clownanalystes dont le "danger" est précisément un facteur d’une sorte de “résilience sociale” (Note des auteurs)

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