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Édito

Voici, enfin, le n°22 de Culture clown ! Un an et demi s’est écoulé depuis le n°21 et nos abonnés étaient en droit de s’inquiéter ! Il faut dire que le Centre de Recherche sur le Clown Contemporain qui édite la revue est en pleine mutation*… ce qui a retardé sa sortie et sa transformation annoncée dans le n°21. Nous avons donc gardé son format habituel dans cette phase d’entre-deux que nous traversons. Or il se trouve que le thème de ce numéro est symbolique de l’entre-deux puisqu’il situe le Clown comme un passeur**, entremetteur se positionnant sur le passage entre deux mondes.

En quinze ans de parution, notre revue a souvent abordé cette fonction du Clown mettant du jeu, du lien, de la circulation, entre nos échecs et nos réussites, entre nos souffrances et nos plaisirs, entre nos ombres et nos clartés, et aussi entre le réel et l’imaginaire, entre le poétique et le politique, entre la scène et le public… Pour ce dernier numéro de sa formule actuelle, Culture clown ose explorer comment le Clown funambule déploie son jeu entre la vie et la mort (tel Charon dans la mythologie grecque***) et mise sur la vie... jusqu’au bout !

• La première partie de notre dossier nous amène sur le terrain de la fiction et du côté de la scène spectaculaire. Vous y découvrirez l’expérience d’acteurs et actrices clowns qui se sont lancé-e-s dans une création sur le thème de la Mort, ce personnage si présent dans notre culture sous les traits de la Faucheuse****. Les cinq spectacles évoqués sont tous devenus une façon drôle et vivante de nous confronter à la question de notre propre mort.

• La seconde partie nous ramène sur le terrain de la réalité sociale où des clowns interviennent auprès de personnes vulnérables et/ou en fin de vie. L’espace de rencontre et de jeu que les clowns ouvrent dans ce contexte délicat est là encore funambulesque... D’ailleurs, ce type d’interventions est devenu un vrai métier exigeant et impliquant. Chaque expérience présentée dans ces pages développe une approche sensible et créative des enjeux de cet entre-deux qui nous concerne tous… Et chacun des cinq témoignages rassemblés nous donne des pistes de travail, que ce soit en tant que personne ou en tant qu’acteur-clown : « oser jouer avec ce qui est là » (B. Sylvander), « une communication au présent où chacun est acteur et créateur de ce qui s’invente » (D. Bernard et J. Kerbarge), « ce filet de vie que l’on a continué de tisser… une sorte de dignité retrouvée au contact des clowns » (P. Gondebeaud et A. Buffet), « la vulnérabilité du clown est la clef de voûte de ce travail » (N. Grivel), c’est du point de joie en moi que je peux apaiser l’autre » (S. Meunier).

• En complément à ces deux terrains, deux auteurs évoquent successivement l’entre-deux social exploré par les clowns face à la violence (A. Velasquez) et l’entre-deux personnel exploré en formation (P. Rousseaux).

Pour dépasser l’idée de séparation entre la vie et la mort, empruntons à Daniel Sibony***** sa réflexion sur l’entre-deux : « L’entre-deux est une forme de coupure-lien entre deux termes, à ceci près que l’espace de la coupure et celui du lien sont plus vastes qu’on ne le croit ; et que chacune des deux entités a toujours partie liée avec l’autre ».

Ainsi le Clown, navigateur empathique de l’entredeux, tisse des liens précisément à l’endroit (et à l’envers) le plus fragile de notre humanité !

* Voir les infos du CRCC en 3ème de couverture.

** Hélas, l’actualité a donné une image très négative à d’autres "passeurs", ceux qui exploitent les migrants et les envoient souvent de la vie vers la mort sur des bateaux pourris en Méditerranée… A l’opposé, ce dossier en témoigne, le clown prend le parti de la vie dans son accompagnement de passages pleins de vie.

*** Charon passeur des Enfers chargé de mener sur sa barque les âmes des personnes défuntes jusqu’au royaume d’Hadès.

**** La Mort a été représentée en tant que figure anthropomorphe et personnage fictif dans de nombreuses mythologies et cultures populaires. Dans le folklore occidental moderne, la Mort est représentée comme un squelette portant une toge noire avec capuche et une grande faux... C’est ce que nous retrouvons, au fil de ce n°, dans les dessins de Jiho et dans les spectacles d’Amédée Bricolo et d’Emma la clown.

**** D. Sibony, Entre-deux. L’origine en partage, Editions du Seuil, 1991.