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Edito

Le lieu du spectacle n’est qu’un cas particulier parmi les différents lieux du clown. Ce point de vue fonde notre revue comme tribune des multiples pratiques de clown. Après avoir donné la parole (dans le numéro précédent) aux intervenants-clowns, ces aventuriers de la création in situ qui investissent les assemblées, les institutions de soins et autres lieux sociaux, nous accueillons ici les créateurs de spectacles clowns. Et, encore une fois, notre sommaire constitue un carrefour unique. Ils viennent de France, des USA, de Russie, de Suisse, d’Espagne, du Mexique… Ils sont passés par le théâtre, le cirque, le mime, la rue ou les stages de clown… Et ils se produisent en solo ou en duo, dans les grands circuits culturels ou sur les petites scènes émergeantes. Nous voici donc avec le projet d’entrer dans la boîte noire de la création, tentant de décrypter le chemin mystérieux parcouru par des artistes venant se produire sur scène - en tant que clowns - devant un public à qui ils ont donné rendez-vous. Même si les voies de la création sont impénétrables… ils ont accepté de partager leur artisanat singulier. Leurs expériences et leurs points de vue divergent, et c’est là tout l’intérêt de notre questionnement sur la spécificité du processus de création et du spectacle clown. Chacun a ses réponses et trouve ses passages entre improvisation, écriture, répétition, contrôle et lâcher-prise… A chacun sa méthode d’accouchement !

L’origine de la création en clown se situe inévitablement dans l’avènement d’un personnage de clown porté par l’acteur. Disons que la création commence par une fécondation et une gestation, d’où notre choix d’illustration en couverture… Et cette créature, loin de se soumettre aux désirs de l’acteur, tend à s’imposer à lui. En effet, chaque clown naît profondément d’une personne singulière qui se doit d’en assumer la fiction. Le comédien travaille, le clown vit et, à cet égard, exige du respect (comme tout personnage d’ailleurs). Mais la façon de vivre propre au clown risque de poser de gros problèmes à son créateur ! Etant par nature en conscience aiguë de la réalité du monde, comment le clown peut-il se soumettre aux artifices de la mise en scène… si ce n’est en jouant avec ? Etant par nature prompte à saisir l’événement surgissant, comment peut-il dérouler une partition établie… si ce n’est en restant disponible à l’improvisation ? Et pourtant, venir au centre de la scène, c’est être porteur d’une fable inscrite dans un langage, incarnée dans une forme aboutie. Mais alors, comment ne pas enfermer le clown dans les pièges du numéro ou de la convention théâtrale ? L’imprévisibilité et l’étonnement propres au clown, sa relation directe avec le public, son goût immodéré pour le jeu - à la vie, à la mort - et pour le jeu de la vérité… rendent complexe sa mise en scène !

Par son étrangeté familière et comique, par sa dimension poétique/politique si particulière, par son regard révélateur, à la fois complice et dérangeant, le clown occupe une place spécifique sur la scène contemporaine. Les structures culturelles s’ouvrent enfin à la création clowne, en particulier grâce à la multiplication des festivals qui lui sont dédiés. Aux pro-créateurs de clowns de relever le défi !