Le clown contemporain a su profiter du bel héritage reçu de ses "ancêtres et cousins excentriques"1. Et, depuis les années soixante dix, il a nettement conquis son autonomie artistique et élargi son champ d’expression. Le renouveau de l’art clownesque s’étant fait grâce aux artistes venant du théâtre ou du nouveau cirque (et particulièrement grâce aux femmes !), sa principale évolution concerne le développement de sa dramaturgie comique.
Ce dossier de Culture clown en fait la démonstration en s’intéressant aux histoires que racontent des clown(e)s d’aujourd’hui, et qui nous touchent et nous font rire même si elles sont tragiques ! Bien sûr, si ces “histoires de clowns” sont du feu quand elles sont jouées sur scène, les textes qui les évoquent ici ne peuvent être écrits qu’avec de la cendre... Mais, nos lecteurs ont de l’imagination ! Et ils vont les rencontrer autrement en entrant dans les coulisses de la création, car chaque auteur essaie de partager comment elles naissent, mûrissent, prennent forme et se dégustent avec le public.
Les histoires que produisent les acteurs-clowns d’aujourd’hui deviennent aussi émouvantes et (d)étonnantes que les histoires de la vie humaine dont les contes, les mythes ou les tragédies ont toujours été les miroirs allégoriques. D’ailleurs - on peut le constater dans plusieurs articles - ces "grands récits" sont souvent l’une de leurs sources d’inspiration et d’exploration qu’ils confrontent à leur regard singulier et à l’esprit du "jeu dans le jeu".
Ce numéro nous invite donc à mieux identifier le "processus de création clown" en découvrant comment les différents acteurs, formateurs, metteurs en scène, réunis ici, s’y engagent avec exigence... et jubilation ! Même s’ils ont des parcours et des points de vue différents, tous témoignent de la grande diversité des situations, des thèmes et des enjeux investis par des clowns qui ne se cantonnent plus à la seule déclinaison de scènes de maladresse ou de dispute...
Créer des histoires qui tiennent la route demande à l’acteur-clown de s’engager dans un vrai chantier pour, à la fois, affirmer l’univers de son personnage et sa présence dans l’instant, mettre en jeu sa propre histoire et son imaginaire comme matière vivante, la structurer dans une "écriture" tout en laissant au clown sa liberté de jeu ! Ce chantier produit alors un acte "clown" qui prend forme dans l’immédiateté (en improvisation) ou bien à la suite d’un lent cheminement (en création). Il reste que ces deux types de production – le jaillissement de l’improvisation et la construction d’un spectacle fixé – sont très complémentaires dans la pratique du clown.
Au fil de ce numéro, il ressort que chaque acteur s’implique comme auteur dans cette aventure et qu’il a à trouver son propre passage de l’intime à l’universel... avec l’accompagnement respectueux et créatif d’un passeur nommé “formateur” (en situation de stage) ou “metteur en scène” (en création de spectacle) ; il ressort aussi que ce chantier clown reste en permanence ouvert au public (potentiel ou réel) ce qui induit une dramaturgie l’intégrant dans l’histoire et jouant avec les conventions théâtrales.
Pour nous, les clowns tiennent de nos jours une fonction nouvelle en devenant ces conteurs un peu fous, fragiles et libres, profonds et drôles, qui nous tendent un miroir d’ombres et de lumières... et nous invitent à prendre le risque salutaire de le traverser.
1 "ancêtres et cousins" issus du théâtre élisabéthain, de la pantomime, du théâtre forain, de la comédie populaire, et plus directement encore du cirque, du cabaret, du cinéma burlesque, des arts de la rue, etc.
Jean-Bernard Bonange
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