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Edito

Clowns dans la rue : " à la rue " et " à l’école de la rue "

Quand le clown, personnage de passage, va dans la rue, il rencontre des gens qui sont eux-mêmes de passage. Que va-t-il alors se passer dans cet espace ouvert et codifié, entre les passants et ce passeur curieux en (dés)équilibre entre deux mondes ? Et bien s on côté empathique et excentrique va rendre tout à fait stimulant son surgissement dans le lieu public, en lien avec le public*.

Or le clown est, aussi, fondamentalement " à la rue " : sans domicile, sans repères, comme perdu dans nos modes de vie, bref " à la ramasse " comme l’a souvent célébré le cinéma burlesque américain avec le tramp . Alors, d ans l’espace public, le clown ostensiblement décalé fait jeu de tout bois, de tout support, de tout événement, comme un pari sur la rencontre, le rire, le dérangement, l’ouverture du regard et du cœur.

Les "arts de la rue" sont en plein essor : nombre de festivals leur sont dédiés et nombre de compagnies et de créateurs s’y consacrent avec succès. Les clowns participent-ils à la vitalité actuelle de ce champ artistique ? Nous avons voulu le savoir en allant sur le terrain (comme on dit en période électorale !) et en sollicitant une diversité de témoignages, proches de nous (d’une douzaine de compagnies) ou venant d’autres continents (Colombie, Inde, Argentine, Maroc...).

Loin des productions spectaculaires à grands moyens, les clowns y apparaissent comme les rois (aux mains nues) de la mise en jeu sous de multiples formes : spectacles de rue, déambulations, interventions impromptues ou programmées, actions militantes… En investissant les lieux publics, les acteurs-clowns sont amenés à composer avec les aléas et les contraintes de la rue. Vous lirez dans ce dossier qu’ils y trouvent une inspiration, une énergie, et surtout une expérience formatrice. Car " à l’école de la rue ", ils sont directement confrontés aux exigences et aux risques de la présence en extérieur, du rebond corporel, de la répartie verbale et de la production d’actes symboliques ! Et souvent, ils y découvrent les bonheurs (et même " l’inespéré "**) de l’instant présent.

Avec quel regard ?

Alors quel regard les clowns portent-ils sur nos territoires habités et normalisés ? Héritier de la tradition bouffonne de critique sociale et du théâtre de foire, ils transforment l’espace public en terrain de jeu et d’interaction, invitant à le voir, à le vivre et à l’imaginer autrement. Dans ce sens, à l’opposé d’un certain cynisme à la mode, nous préférons les artistes sensibles à un positionnement d’ intervention sociale : des clowns qui traversent les lieux et les évènements publics avec empathie et humour plutôt qu’avec agression et ironie, pour rejoindre sans contraindre, révéler sans abuser…

Ainsi, entre jeux de miroir et changements de regard, ils expérimentent, surprennent, transgressent, poétisent, retrouvant une fonction politique/poétique***qui leur va si bien et dont nous avons tellement besoin pour échapper à la pieuvre marchande, humaniser l’espace public et explorer son potentiel d’imaginaire. " Oui , comme l’écrivait Serge Martin****, le regard du clown est vital. Il nous offre un angle de vue, comme chaque acte artistique, mais son angle touche le cœur du sujet." et, par là, il touche les passants.

*Ce qui place ce dossier dans le prolongement du précédent (N° 18, Le clown et la relation au public )
** Comme l’écrit dans son article la colombienne Ana Velasquez Angel.
*** Au sujet des " founambules de la diagonale poétlitique ", voir aussi Culture clown N°15 (2009) Le clown et le politique , et N°16 (2010) Les clowns, leurs cousins et les crises .
**** Serge Martin, Le clown provoque une envie de se libérer , Culture clown N°15.