Publications

Edito

Jean Bernard BONANGE

Décloisonner sans diluer

L’histoire du Clown est faite d’ancrages successifs et de nomadisme. Tour à tour rattaché au théâtre, à la pantomime, au cirque, au cabaret… voici un personnage qui a parcouru les siècles en réussissant à traverser les frontières des pays mais aussi les cloisonnements des arts. Il a bien failli se figer, rançon de la gloire, en devenant la figure la plus populaire du cirque traditionnel, laquelle perdure aujourd’hui cantonnée au spectacle "jeune public" ou, pire, dans sa forme la plus stéréotypée d’amuseur pour anniversaires enfantins ou opérations commerciales.

Mais le Clown ne se laisse pas enfermer ! Il a su rebondir et investir de nouveaux lieux et de nouveaux publics, faisant preuve d’une vitalité étonnante grâce à des acteurs et des actrices aux parcours diversifiés. Aujourd’hui, l’art du clown se déploie aussi bien dans le cirque actuel et sur les grandes scènes théâtrales que dans des festivals de villages, des centres de congrès, des chambres d’hôpital ou des camps de réfugiés…

Au fil de ses 20 numéros, notre revue a toujours cherché à dépasser les clivages, parfois les ségrégations, qui ont cours dans le monde des clowns. Elle s’est intéressée aux pratiques artistiques qui constituent le champ du " clown contemporain ", que ce soit en spectacle, en intervention sociale ou en formation. Et pour cela, elle a rencontré une diversité d’artistes, metteurs en scène, formateurs, hommes et femmes, arborant ou non le nez rouge !

Mais dépasser les clivages ne veut pas dire diluer l’art du clown. D’où notre questionnement constant sur ce qui fonde le Clown, sa spécificité, son "essence" *.

Ce numéro rassemble à nouveau de précieux témoignages permettant de situer l’art du clown par rapport au burlesque, au jeu de masque et aux questions concernant le corps, la parole, l’écriture, la dramaturgie… Arrivés au Clown par des chemins variés, les auteurs convergent sur ce constat : incarner le clown confronte l’acteur aux exigences de cet art pluriel et, en même temps, à une exploration singulière de ce qui est clown en lui. Faire vivre son propre clown passe par la conquête d’une authenticité et d’une liberté de jeu où il s’agit d’allumer son humanité et d’ajuster ce que Louis Fortier nomme, plus loin, sa " flamme intérieure ".

Transformer les différences en atouts

En fait, dans la rythmique de " ce n’est qu’un début, continuons le combat ! ", " ouvrons des passages, dépassons les clivages ! " pourrait être le slogan de notre revue ! Une telle ouverture correspond bien à l’esprit du Clown qui sait bousculer les conventions et franchir les murs des exclusions, tel un ouvreur, un passeur, un relieur !

En ce sens, souhaitons que chaque acteur qui se consacre au clown reprenne à son compte ce que dit le philosophe Patrick Viveret ** : "Je suis un passeur-cueilleur. Je cueille dans chacun des univers dans lesquels je vis les éléments de théorie ou de pratique qui seraient utiles ailleurs et je les aide à passer les murs. Cette mission de passeur-cueilleur vise finalement à transformer les différences, voire les divergences, en atouts." Le Clown nous ouvre ainsi à une puissante philosophie de vie.

* Ce numéro prolonge en particulier le n°17 consacré à "l’archétype du Clown et la diversité des clowns".
** Dans le n°26 de Stradda, octobre 2012.