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Edito

Trois remarques préliminaires. Dire d’abord que traiter les politiciens de "clowns", comme on l’entend parfois, nous semble peu respectueux des clowns... Ensuite que mettre un nez rouge pour marcher dans une manifestation ne fait pas apparaître un clown, personnage de fiction, mais fait plutôt voir un manifestant joyeusement affublé d’un nez en plastique... Enfin que, dans le titre de ce dossier, "le" placé devant "politique" n’est pas une coquille puisque nous voulons voir comment les clowns se confrontent non pas à "la" vie politique mais au politique qui concerne l’organisation de la vie des hommes en société. Avez-vous remarqué que de plus en plus de spectacles clowns et de compagnies de clowns d’intervention sociale sont en prise avec les enjeux politiques actuels (pouvoir, écologie, travail, consommation, exclusion, santé, violence, etc.) ? Ce dossier le confirme en s’intéressant à des acteurs-clowns qui font du " founambulisme " dans le champ du politique, ce qui est tout à fait périlleux... et revigorant ! Car, en ces temps de crise(s) aiguë(s), il est bon de retrouver le paradoxe d’Erasme 1 à propos du " fol-sage " : si le monde est fou, écoutons le fol chez qui la vérité trouve refuge ! Populaire et présent sur le terrain social depuis les années 70, le clown est sans doute celui qui s’inscrit le mieux dans cette lignée historique des fous et des personnage comiques des places publiques. Comme le Joker des jeux de cartes, il est porteur d’ambiguïté (il s’insère dans le jeu et, en même temps, il transgresse les règles) et d’imprévisibilité (on ne sait jamais ce qu’il va faire ou subir).

Le clown ne marche pas droit. Son déséquilibre fondamental le pousse à traverser le champ politique en diagonale. Oscillant entre l’empathie et la prise de distance, il est le spécialiste du pas de côté et du renversement des points de vue. Son décalage authentique lui confère le privilège du rire, tout en ciblant le cœur des questions politiques... et en touchant ceux à qui il s’adresse. Vous en trouverez bien des exemples dans ces pages.
Ce qui fonde le clown, c’est sa différence de façon d’être et de place sur la scène sociale par rapport aux autres participants : il s’inscrit avant tout dans l’ordre du symbolique. Il symbolise à la fois la " société négative " 2, celle des faibles et des exclus, et la liberté, celle des humoristes et des poètes !

Sa présence poétique passe par le concret du corps, de l’objet, de l’acte métaphorique, du langage jaillissant... Aussi, à travers les témoignages d’acteurs-clowns rassemblés dans ce numéro, il est intéressant de voir si et comment chacun arrive à différencier ses choix "politiques" personnels et le positionnement décalé du clown qu’il incarne ? Une question (rouge) transverse en fait ce dossier : quel travail créatif fait l’acteur pour se tenir en équilibre sur le fil instable du poétlitique ?
Découvrez les " repères " proposés par deux de nos compagnons de route 3 (metteurs en scène et formateurs de théâtre et de cirque) et par un acteur de la mouvance des " artivistes " 4. Regardez dans notre " rétroviseur ", les actions historiques de trois pionniers du lâcher du clown dans des événements de la vie démocratique. Suivez nos " coups de projecteurs " sur un spectacle consacré au Tibet et aux JO de Pékin (Cirque Bobof ) et sur trois compagnies de clowns en intervention sociale ( Tamponnez , Ticasa , Bataclown ). Plongez dans notre " zoom sur les artivistes " et sur leurs méthodes scéniques d’agitateurs de conscience ( Clowns à Responsabilités Sociales , Détourmend’fon , Caravane Théâtre ). Enfin, prolongez le voyage avec nos deux nouvelles rubriques " arrêt sur images " et " arrêt sur livres "... et avec le " bonus " spécial placé dans le Bouillon .

Les diverses pratiques de clown présentées dans ce numéro témoignent, encore une fois, d’une belle inventivité sur le registre d’un jeu parodique, critique et régénérateur qui ouvre " des passages signifiants " (M. Serres) dans la compréhension du monde. Et, surtout, on y perçoit que le clown, double dérisoire de l’homme, remet l’être humain et la vie au centre du politique. Venu de la périphérie, il remplit dans la vie sociale une fonction de signal d’alarme salutaire et réjouissant.

1 En 1511, Erasme publie Eloge de la folie .
2 Lever, M. Le sceptre et la marotte . Fayard, 1983.
3 S. Martin et Y. Dagenais qui ont participé aux Journées de Culture clown (cf. notre N°12).
4 Ce numéro de Culture clown se révèle fertile en néologismes qui permettent de combiner deux termes en un, comme " artiviste " (artiste activiste) qu’on trouve, ici, chez plusieurs auteurs mais aussi dans le N°3075de Télérama du 20/12 2008 (dans l’article de Samuel Gontier, " La politique du pitre ", consacré à la Brigade activiste des clowns ).